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Renouvellements et continuité

Éditorial

par Arnaud Mias et Laure de Verdalle,

coordinateurs du comité de rédaction

Nous fêtons cette année les 60 ans d’existence de la revue Sociologie du travail (1959-2019). Depuis sa création, dont l’ouvrage d’Anni Borzeix et Gwenaëlle Rot, Genèse d’une discipline, naissance d’une revue. Sociologie du travail [1], a remarquablement rendu compte en 2010, elle a connu de nombreuses évolutions, qui se sont traduites à la fois par l’élargissement de ses thématiques, par le renouvellement du profil des membres de son comité de rédaction et, plus récemment, par la transformation de ses modes de diffusion puisqu’elle est désormais exclusivement disponible en ligne, sur le portail Journals.OpenEdition.org.

Ces transformations, qui jalonnent inévitablement (et fort heureusement) le parcours d’une revue comme Sociologie du travail, se sont incontestablement accélérées depuis une vingtaine d’années. Dans un article publié en 2017 [2], alors que Sociologie du travail faisait le choix de l’édition numérique, Didier Demazière a dévoilé les coulisses du travail d’élaboration de la revue, en proposant d’en expliciter les différentes facettes (éditoriales, scientifiques, économiques, etc.). Ce texte, qui a rencontré un large écho au sein de la communauté scientifique, avait aussi le grand mérite de présenter des aspects de la vie d’une revue qui sont finalement peu discutés, qu’ils fassent l’objet d’un relatif désintérêt, ou qu’ils demeurent de l’ordre d’une « cuisine interne » à laquelle les contributeurs et les lecteurs n’auraient pas accès. Il apparaissait pourtant indispensable au comité de rédaction de Sociologie du travail de rendre visibles ces éléments, dans un double souci de transparence et de partage d’expérience.

Dans son article, Didier Demazière insistait également sur deux évolutions importantes pour la revue. La première concerne l’élargissement du périmètre des approches et des objets qui y sont traités : les manières de définir et d’appréhender le travail ont connu, depuis les années 1960, des réorientations importantes, qui ont contribué à diversifier les thèmes et les enjeux présents dans les articles publiés. En témoigne aussi la variété des derniers numéros thématiques (« Comparer : enjeux théoriques et méthodologiques » en 2013, « Les écrits du travail » en 2014, « Participer. Pour quoi faire ? » et « Produire la performance sportive » en 2015, « Les syndicats face aux transformations du secteur public » en 2017, « Genre et classes populaires au travail » en 2019) et des dossiers-débats (« Le gouvernement par les indicateurs » en 2016, « Le travail en quête de responsabilité » en 2019), qui sont autant de contributions à ces réorientations. Une telle évolution fait aujourd’hui de Sociologie du travail une revue de sociologie générale, reflétant en cela la transformation des façons de définir le travail et de qualifier les activités sociales. Nous entendons maintenir l’attachement de la revue au travail, non comme un domaine circonscrit, mais comme une perspective générale et ouverte sur la société et ses mutations.

Un même mouvement de diversification et d’élargissement s’est appliqué au profil des membres composant le comité de rédaction, ce qui constitue une seconde évolution notable. Particulièrement marqué depuis une dizaine d’années, ce mouvement, qui manifeste un renouvellement générationnel, a permis d’accompagner l’ouverture de la revue vers de nouveaux horizons.

Dans la continuité de ces évolutions, l’année 2019 peut apparaître comme un moment charnière puisqu’elle est marquée par le départ de trois membres étroitement associés à l’histoire de la revue depuis les années 1990 : Michel Lallement, Pierre Desmarez, et Didier Demazière qui assurait depuis 2005 la coordination du comité de rédaction. Nous avons choisi de reprendre en tandem cette dernière tâche, qui renvoie à l’organisation bien particulière de la revue et à son fonctionnement collégial.

En effet, et il s’agit d’un point saillant pour caractériser Sociologie du travail, le processus d’évaluation des textes — qui met l’accent sur la richesse des matériaux d’enquête ainsi que sur la qualité et l’originalité des analyses proposées — repose intégralement sur les lectures faites par les membres du comité. Nos réunions, qui ont lieu tous les deux mois, sont un moment privilégié d’échange autour des textes, qui doit permettre la convergence des avis (ceux des trois membres désignés comme rapporteurs, mais aussi ceux de l’ensemble du comité) et la construction d’un consensus. Les coordinateurs, qui ont pour tâche d’animer les réunions et les échanges, sont les garants de ce processus collectif. Un tel mode de fonctionnement suppose d’éviter toute forme de chapelle ou de repli sur une rassurante interconnaissance.

Il incombe donc également aux coordinateurs de veiller à ce que le renouvellement du comité, qui fait l’objet de réflexions partagées et d’échanges avec l’ensemble des membres, puisse intervenir dans un esprit de diversité et d’ouverture. Celui-ci peut concerner des thématiques ou des objets à privilégier, mais il prend aussi en considération les orientations théoriques et méthodologiques, de telle sorte que les discussions sur les textes privilégient le débat plutôt que le partage implicite de normes, d’approches ou de référentiels. Cet esprit n’est d’ailleurs pas étranger au projet des fondateurs puisque, comme le rappellent A. Borzeix et G. Rot, dès son origine Sociologie du travail « n’est ni une revue d’“école”, ni une revue d’un seul homme » (Borzeix et Rot, 2010, p. 328). Au-delà des indéniables évolutions qu’a connues la revue, cet esprit collégial constitue ainsi un héritage bien présent.

Il faut aussi souligner la continuité du travail éditorial, assuré par Anne Bertrand depuis 2013. Son efficacité et sa rigueur sont des éléments précieux pour la revue, qui nous font appréhender avec sérénité nos nouvelles tâches.

Enfin, nous souhaitons rappeler notre attachement à valoriser dans les pages de notre revue les travaux des jeunes chercheurs et chercheuses. Le Prix du jeune auteur que la revue organise chaque année depuis 2001 en est un moyen privilégié, comme le reflète ce numéro.

Paris, le 1er décembre 2019.

Notes

[1Borzeix, A., Rot, G., 2010, Genèse d’une discipline, naissance d’une revue. Sociologie du travail, Presses universitaires de Paris Nanterre, Nanterre.

[2Demazière, D., 2017, « Dans les coulisses de Sociologie du travail », Sociologie du travail, vol. 59, n° 1, en ligne : https://journals.openedition.org/sdt/502.