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Vol. 54 - n°1 (janvier-mars 2012)

Dossier-débat

La responsabilité à l’épreuve des nouvelles organisations économiques - G. Crague et al.

Articles

Le salaire de la sueur. Un éclairage socio-historique sur la lutte anti-sweatshop - P. Barraud de Lagerie

Mobiliser par l’affect. Contraintes et ressources de l’encadrement intermédiaire de prestations de services peu qualifiés - G. Schütz

Investir avec prudence : les usages d’un impératif juridique par les acteurs du capitalisme financiarisé - S. Montagne

Les prud’hommes et la fabrique du droit du travail. Contribution à une sociologie de l’activité judiciaire - L. Willemez

Comptes rendus


Dossier-débat

La responsabilité à l’épreuve des nouvelles organisations économiques

Liability put to the test by new forms of business organization

Gilles Crague, Catherine Paradeise, Jean-Claude Thoenig, Günther Teubner, Marie-Laure Morin

Résumé
Le développement récent des organisations en réseaux engendre l’évanescence des « macro-acteurs » que sont les grandes organisations formelles et fait ainsi surgir un nouveau problème de responsabilité sociale des organisations économiques. Pour en sortir, une redéfinition de l’objet « organisation » et de son analyse sont nécessaires. Elle doit permettre de penser les externalités de réseau et d’identifier des modes de traitement — entre autres juridiques — de leurs conséquences en matière de responsabilité. Les quatre brêves contributions présentées dans ce dossier (deux signées par des sociologues, deux par des juristes) esquissent une manière de traiter ces réalités organisationnelles contemporaines.

Mots clés : Entreprise ; Responsabilité ; Organisation ; Territoire économique ; Réseau hybride ; Droit du travail

Abstract
The recent development of networks has engendered both the evanescence of “macro-actors” (i.e., big formal organizations) and new problems related to corporate social responsibility. The concept of “organization” must be redefined and analyzed so as to identify network externalities and the ways (including legal ones) of handling the consequences in terms of liability. The four brief contributions in this section — two by sociologists and two by jurists — outline an approach to the contemporary reality of organizations.

Keywords : Firms ; Liability ; Organization ; Economic territory ; Hybrid network ; Labor law

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Articles

Le salaire de la sueur. Un éclairage socio-historique sur la lutte anti-sweatshop

The wages of sweat : A social history perspective on the fight against sweatshops

Pauline Barraud de Lagerie

Résumé
Cet article se propose d’éclairer l’essor actuel d’un mouvement pour la « responsabilité sociale des entreprises » à la lumière d’une analyse socio-historique de la lutte anti-sweatshop. Nous nous attachons à montrer que la démarche consistant à imputer à la tête d’une chaîne de sous-traitance la responsabilité d’assurer le bien-être de ceux qui en constituent les derniers maillons n’est pas contemporaine de l’internationalisation des échanges et du problème des équilibres Nord-Sud. Dès le sweating-system du XIXe siècle, les défenseurs des travailleurs avaient pointé du doigt la responsabilité de ceux qui, sans exercer une contrainte directe sur la main d’œuvre, tiraient néanmoins profit de son exploitation. Mais l’analyse historique met aussi en exergue que, si le problème des médiocres conditions de travail a pu, dans d’autres contextes, trouver des solutions qui permettaient de se passer (partiellement au moins) de la responsabilisation des commettants, la lutte anti-sweatshop dans le cadre des échanges mondialisés se caractérise par un recours quasi-exclusif à l’exercice d’une pression sur les donneurs d’ordre.

Mots clés : Sweatshops ; Chaînes de sous-traitance ; Conditions de travail ; Responsabilité ; Réglementation ; Mouvements sociaux

Abstract
The social history of the fight against sweatshops sheds light on the current movement for corporate social responsibility. Assigning the head of a chain of subcontractors the responsibility for seeing to the well-being of those in the chain’s last link is not contemporaneous with present-day globalization and North/South relations. Since the sweatshop system emerged during the 19th century, those who defend workers have pointed a finger at those who profit from exploiting labor even though they do not exercise direct coercion on workers. As this historical analysis emphasizes, the problem of poor working conditions found, in other contexts, solutions that (partially) avoided holding the principal to be liable ; but what characterizes the fight against sweatshops in the context of globalization is its nearly exclusive focus on bringing pressure to bear on the principal at the head of the chain.

Keywords : Sweatshops ; Chains of subcontractors ; Working conditions ; Corporate social responsibility ; Regulations ; Social movements

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Mobiliser par l’affect : contraintes et ressources de l’encadrement intermédiaire de prestations de services peu qualifiés

Mobilization through affects : Middle management’s constraints and resources in businesses providing relatively unskilled services

Gabrielle Schütz

Résumé
Les questions de proximité et de distance dans le travail d’encadrement n’ont que peu été abordées par l’analyse sociologique. Cet article propose de mettre en lumière les déterminants organisationnels d’un style hiérarchique particulier, qui obtient la mobilisation des subordonnés en se soumettant à un fort investissement relationnel et en usant de l’affect. Il montre comment la proximité relationnelle et affective avec les subordonnés peut devenir une ressource dans des contextes où le travail d’encadrement est soumis à un dense faisceau de contraintes. Il montre également dans quelles conditions ce travail relationnel peut devenir pesant et générer une mise à distance des subordonnés, notamment par le dénigrement. Partant de l’encadrement intermédiaire des prestations de services d’accueil, l’analyse se déploie à d’autres contextes de services, montrant en particulier comment les prestations de services peu qualifiés aux entreprises sont propices à l’émergence de ce style hiérarchique.

Mots clés : Encadrement intermédiaire ; Relations hiérarchiques ; Prestations de services peu qualifiés ; Encadrement à distance ; Proximité ; Mise à distance ; Maternalisme ; Accueil

Abstract
Sociological studies have seldom raised questions about the concept of “distance” in managerial work. This article sheds light on the organizational determinants of a particular style of hierarchy, one which mobilizes subordinates by using affects and calls for strong investment in relationships. The relational and affective distance with subordinates proves to be a resource in contexts where management’s work is subject to a dense set of constraints. The conditions are exposed under which this “relational work” becomes a burden and leads to standing aloof from subordinates, in particular by disparaging them. This analysis of middle management in the reception service industry in France is extended to other businesses providing relatively unskilled services. It shows how the provision of such services to firms favors the emergence of this style of staff relations.

Keywords : Middle management ; Hierarchical relations ; Relatively unskilled services ; Social distance ; Maternalism ; The reception service industry

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Investir avec prudence : les usages d’un impératif juridique par les acteurs du capitalisme financiarisé

Investing prudently : How financiers put a legal standard to use

Sabine Montagne

Résumé
Cet article retrace l’histoire récente du standard juridique de prudence d’investissement, marqueur privilégié des mutations du capitalisme américain. Trois types de processus, législatif, réglementaire et judiciaire, sont examinés. Les rassembler dans une même étude permet de suivre la circulation de ce standard entre ses processus historiques multiples de production et d’institutionnalisation. On montre que son sens est négocié par les acteurs, à la croisée du pouvoir régalien de l’Etat et du pouvoir politique des employeurs et des financiers, à la croisée de l’autonomie procédurale des juges et de l’autorité intellectuelle de la théorie savante. Cette méthode permet de constater qu’il n’existe pas une définition juridique de la prudence mais une imbrication d’acceptions simultanées. Elle suggère que la force du droit réside (aussi) dans cette diversité sémantique pourtant instrumentale à une évolution structurelle du capitalisme financiarisé.

Mots clés : Sociologie économique du droit ; Standard juridique ; Prudence d’investissement ; ERISA ; Droit des Trusts ; Théorie moderne de portefeuille ; Épargne salariale ; États-Unis

Abstract
The recent history of the prudent investment standard, which provides clear evidence of the changes under way in American capitalism, is recounted by examining three processes : legislative, regulatory and judiciary. By bringing these three into a single study, we can follow up on how this standard has circulated through multiple historical processes of production and institutionalization. Its meaning has been negotiated both at the junction between the federal government’s regulatory authority and the political power wielded by employers and financiers and at the junction between the procedural autonomy of judges and the intellectual authority drawn from economic theories. This method leads us to observe that there is no legal definition of this “prudence” but, instead, several overlapping acceptations of the phrase. This suggests that the force of the law is based on this semantic diversity, the latter being put to use in the structural evolution of financial capitalism.

Keywords : Economic sociology of the law ; Legal standard ; Prudent investment rule ; ERISA ; Modern portfolio theory ; Company retirement plans ; United States

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Les prud’hommes et la fabrique du droit du travail : contribution à une sociologie de l’activité judiciaire

French labor relation tribunals and the making of labor law : A contribution to a sociology of judiciary roles

Laurent Willemez

Résumé
L’article a pour objectif de comprendre la manière dont les conseillers prud’hommes participent par leurs jugements à la fabrication du droit du travail. L’enquête sociographique permet de montrer la pluralité des modes d’investissement dans l’institution prud’homale et de mettre en valeur le rôle-clé joué par le groupe des « professionnels des prud’hommes ». L’analyse de leurs modes de socialisation à l’institution et de leurs pratiques de jugement montre que ceux-ci sont soumis à trois rationalités différentes et combinées : le droit, la représentation syndicale et le monde du travail. Ce faisant, l’article propose plus largement une autre manière d’étudier le travail judiciaire, entre dispositions sociales des magistrats, appartenances institutionnelles et pratiques de jugement.

Mots-clés : Justice ; Syndicalisme ; Prud’hommes ; Droit du travail ; Institution ; Travail ; Pratiques de jugement

Abstract
How do the persons on French labor relation tribunals (prud’hommes), where representatives from employer associations and labor unions sit, help, through the awards they make, shape law in the field of labor relations ? A “sociographic” survey brings to light both the plurality of forms of commitment to this institution and the key role played by a group of “professionals” in these tribunals. The analysis of how these persons have been socialized in this institution and of how they formulate judgements shows that the awards made stem from three different but combined rationales : the law, labor union representation and the world of work. Another way of studying the work of a judiciary is proposed in between the social arrangements of magistrates, institutional affiliations and practices related to judgements.

Keywords : Justice ; Labor unions ; Industrial tribunals ; Labor law ; Institution ; Work ; Practices related to judging

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Comptes rendus

New trade union activism, Class Consciousness or Social Identity ?, S. Moore. Palgram Macmillan, London (2011). 192 pp.
Paul Bouffartigue

On bosse ici, on reste ici ! La grève des sans-papiers : une aventure inédite, P. Barron, A. Bory, S. Chauvin, N. Jounin, L. Tourette. La Découverte, Paris (2011). 312 pp.
Isabelle Sommier

Les agences de la précarité, Journaliers à Chicago, S. Chauvin. Seuil, Paris (2010). 339 pp.
Emmanuelle Marchal

L’entreprise en restructuration, Dynamiques institutionnelles et mobilisations collectives, C. Didry et A. Jobert (Eds.). Presses universitaires de Rennes, Rennes (2010). 272 pp.
Jens Thoemmes

Donner et prendre. La coopération en entreprise, N. Alter. La Découverte, Paris (2009). 231 pp.
Dominique Martin

Le travail à cœur. Pour en finir avec les risques psychosociaux, Y. Clot. La Découverte, Paris (2010). 190 pp.
Stéphane Latté

Travailler sans les autres, D. Linhart. Seuil, Paris (2009). 212 pp.
Nicolas Jounin

Les sillons de la souffrance. Représentations du travail en pays sénoufo (Côte d’Ivoire), M. Lemaire. CNRS Éditions et Éditions de la Maison des sciences de l’homme, Paris (2009). 254 pp.
François Vatin

L’activité en dialogues, Entretiens sur l’activité humaine (II), Y. Schwartz, L. Durrive (Eds.). Octares, Toulouse (2009). 268 pp.
Nicolas Hatzfeld

École : les pièges de la concurrence. Comprendre le déclin de l’école française, S. Broccolichi, C. Ben Ayed, D. Trancard (Eds.). La Découverte, Paris (2010). 312 pp.
Philippe Losego

Nouvelle théorie sociologique des professions, F. Champy. Puf, Paris (2011). 284 pp.
Didier Vrancken et Jean-François Orianne

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