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Vol. 55 - n°2 (avril-juin 2013)

COMPARER : ENJEUX THÉORIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES

Introduction

Comparer. Options et inflexions d’une pratique de recherche - Didier Demazière, Olivier Giraud et Michel Lallement.

Articles

Comparer l’incomparable ? Le sens du travail en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne dans l’entre-deux-guerres - Robert Salais.

Par-delà les spécificités nationales : comprendre les expériences de mobilité sociale en France, aux États-Unis et en Inde - Jules Naudet.

Le chômage a-t-il encore un sens ? Enseignements d’une comparaison dans trois métropoles - Didier Demazière.

Ségrégation résidentielle et quartiers refondés. Usages de la comparaison entre Paris et Milan - Bruno Cousin.

Les approches comparées face à la globalisation - Jürgen Kocka.

Comptes rendus


Introduction

Comparer. Options et inflexions d’une pratique de recherche

Comparing. Options and inflexions in ways of doing research

Didier Demazière, Olivier Giraud et Michel Lallement

Résumé
Dans les dernières décennies, les pratiques comparatives se sont considérablement développées et les terrains, objets, enjeux, méthodes et théorisations se sont diversifiés. Sans prétendre rendre compte de cette effervescence, ce texte introductif cherche à pointer quelques enjeux théoriques et méthodologiques qui marquent aujourd’hui les pratiques comparatives. Le territoire des comparaisons est d’abord balisé par deux approches qui ont fortement marqué les analyses comparées du travail, des systèmes sociaux et des organisations de la production : l’analyse sociétale d’une part, les variétés du capitalisme d’autre part. Ensuite les évolutions actuelles de la pratique comparative sont pointées, autour d’une série d’enjeux théoriques et méthodologiques qui s’affirment : pertinence de l’échelle nationale et manières d’informer empiriquement et de constituer conceptuellement ce niveau d’analyse ; variété des niveaux de réalité à comparer, de leurs articulations, et des échelles auxquelles peut être située la méthode comparative ; homogénéité ou hétérogénéité des espaces comparés et place des raisonnements en termes de systèmes ou modèles ; différenciation des entités comparées et prise en compte des connexions, circulations ou hybridations qui les lient ; alignement des catégories organisant la comparaison et variabilité et ajustement des protocoles d’enquête empirique, etc. Ces enjeux suscitent des débats nourris dans les travaux comparatifs actuels, indiquant par là la vitalité de ce domaine de recherche.

Mots clés : Comparaison internationale ; Analyse sociétale ; Variétés du capitalisme ; Méthode comparative ; Jeux d’échelles.

Abstract
Comparative practices have evolved considerably over the last 20 to 30 years. The fields researched, objects, issues, methods and theorizations have expanded. Though we do not claim to fully account for that effervescence in this introduction, we will attempt to pinpoint a few of the theoretical and methodological matters that shape comparative research today. Two approaches —societal analysis on the one hand, the varieties of capitalism on the other— have had a long lasting influence on the comparative studies of labor, social systems and production organizations. We next turn to the ways comparative practices have recently been developed around a series of today well established theoretical and methodological issues : the critical assessment of the relevance of the national dimension, and how to empirically inform and conceptually go beyond that level of analysis ; the variety of levels of reality to be compared, and of comparative analytical scales, how they interconnect ; the homogeneous or heterogeneous nature of the spaces compared and where and when to reason in terms of systems or models ; differentiating the entities being compared and taking interconnections into account, as well as the circulations or hybridization that make them comparable ; aligning the categories that organize equivalence ; the variability of protocols in empirical surveys and the need to adjust them, etc. All these matters trigger lively debates in present-day comparative work. This is a valuable indication of the vitality of this field of research.

Keywords : International comparison ; Societal analysis ; Varieties of capitalism ; Comparative method ; Effects of scale.

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Articles

Comparer l’incomparable ? Le sens du travail en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne dans l’entre-deux-guerres

Comparing the incomparable ? The meaning of work in France, in Deutschland and in Great-Britain in the interwar

Robert Salais

Résumé
La méthode de l’économie des conventions repose sur un questionnement objectif de la pragmatique de l’action qui se déroule en situation. Elle cherche ainsi à restituer les configurations de sens qui guident les acteurs grâce, aussi bien, aux justifications et controverses qu’aux traces incorporées dans les objets sociaux. À l’histoire croisée, elle peut donc apporter dans la comparaison une attention plus aiguë aux singularités des situations, spécialement dans le cas de l’Europe, aux singularités nationales. L’article tente de le démontrer sur les configurations de sens attribuées à la relation de travail en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne dans l’entre-deux-guerres. En croisant différents domaines et sources, il suggère que ces configurations se nouent, respectivement, autour de la liberté du contrat, de la liberté d’association et de la dépendance du serviteur envers son maître. Pour arriver à ce résultat, il examine comment les conceptualisations de la relation de travail mettent en rapport, de manière propre à chaque pays, travail et produit du travail.

Mots clés : Convention ; Configuration ; Relations de travail ; Travail ; Trajectoires historiques

Abstract
The economics of conventions method means objectively questioning the pragmatics of acts done in given situations. It does so by attempting to reproduce the configurations of meaning that guided the actors, i.e. justifications and controversies as well as traces left in social objects. A comparison can therefore contribute to the histoire croisée (“entangled history”) approach a better understanding of the uniqueness of situations, and, especially in the case of Europe, of national specifics. We try to demonstrate this here by studying the meanings attached to labor relations in Germany, France and Great-Britain between the two world wars. Correlating various domains and sources suggests that those configurations of meaning are built, respectively, around freedom of contract, freedom of association and a servant’s reliance on the master. That result was obtained by showing that the way labor relations are conceived creates a relationship between labor and the product that is particular to each country.

Keywords : Convention ; Configuration ; Labor relations ; Work ; Historical trajectories.

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Par-delà les spécificités nationales : comprendre les expériences de mobilité sociale en France, aux États-Unis et en Inde

Beyond national specificities : Understanding the experiences of upward social mobility in France, in the United States and in India

Jules Naudet

Résumé
Cet article propose un cadre d’analyse permettant de rendre compte des récits de réussite de personnes ayant connu une très forte ascension sociale en France, aux États-Unis et en Inde. Il propose une réflexion sur la meilleure combinaison des différentes échelles d’analyse, et défend l’idée que, s’il est important de s’interroger sur le poids du contexte national, il est impératif de ne pas lui sacrifier l’importance d’autres niveaux d’analyse. Si l’identification de répertoires d’évaluation nationaux et de spécificités institutionnelles s’avère décisive, elle ne suffit néanmoins pas à rendre compte complètement de la façon dont est vécue la mobilité. Les récits de réussite sociale sont en effet marqués par l’influence composite des répertoires culturels et des idéologies qui sont dominants au sein du pays, de la famille, du milieu professionnel, des établissements scolaires et universitaires fréquentés, de la génération, de la classe d’origine, du quartier et, le cas échéant, de la caste ou du groupe minoritaire auquel on appartient. Cet article propose le concept d’« idéologie instituée » pour donner sens aux modalités d’encastrement de toutes ces échelles.

Mots clés : Comparaison internationale ; Échelles d’analyse ; Mobilité sociale ; France ; États-Unis ; Inde

Abstract
The analytical framework presented here allows us to account for the success stories of people having experienced strong upward mobility in France, in the United States and in India. Reflecting on the bestway to combine different scales of analysis, it defends the idea that, though it is important to take into account national contexts, other levels of analysis must not be overlooked. In order to satisfyingly account for the way mobility is experienced, identifying national repertoires of evaluation and institutional specificities is decisive, yet limited. Achievement narratives are actually marked by the composite influence of the cultural repertoires and the ideologies dominant among one’s nation, family, occupational context, school and university, generation, social class of origin, neighborhood and, when applicable, caste or minority group. To make sense of how all these scales work together, we introduce the concept of “instituted ideology” (idéologie instituée).

Keywords : International comparison ; Scales of analysis ; Upward mobility ; France ; United States ; India

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Le chômage a-t-il encore un sens ? Enseignements d’une comparaison dans trois métropoles

Is unemployment still meaningful ? What comparing three conurbations teaches us

Didier Demazière

Résumé
Le chômage fait l’objet de comparaisons internationales nombreuses, qui s’appuient généralement sur des indicateurs codifiés permettant une mesure standardisée du phénomène (chômage au sens du BIT). Ce texte propose une tout autre approche, dans laquelle la comparabilité n’est pas posée en amont, par l’harmonisation de l’instrument de mesure, mais constitue l’objet de la recherche : le chômage est-il une catégorie d’identification pertinente et solide pour des individus privés de travail et vivant dans des sociétés contrastées ? L’article explicite les étapes d’une démarche comparative fondée sur des entretiens biographiques avec des chômeurs dans trois métropoles (Paris, São Paulo, Tokyo) et destinée à résoudre cette énigme. Cette comparaison compréhensive montre à la fois la robustesse et la fragilité de la catégorie du chômage, et constitue ainsi un complément aux comparaisons standardisées. Dans la lignée de la sociologie configurationnelle, elle conduit à considérer le chômage comme une trame croisant des normativités, variables selon les lieux et les époques, et des subjectivités, variables selon les positions sociales et les parcours biographiques.

Mots clés : Chômage ; Comparaison internationale ; Entretiens biographiques ; Expérience

Abstract
Unemployment (in the sense of the ILO) has been subjected to many international comparisons that usuallyapply codified indicators to measure it, according to given standards. Our approach is entirely different. The comparison is not pre-established by simply adjusting the instrument of measure, it becomes itself the object under examination : is unemployment a meaningful and stalwart category that allows jobless persons in very different societies to possess an identity ? In order to solve this enigma, the article outlines the different phases of a comparative approach based on biographical interviews with unemployed persons in three conurbations (Paris, São Paulo, Tokyo). A comprehensive comparison reveals both the strength and the fragility of the jobless category, thus becoming a useful adjunct to standardized comparisons. ln line with Figurational Sociology, we see unemployment as a crossroads, where normativities, variables of time and space, and subjectivities that differ according to social status and personal itineraries, intersect.

Keywords : Unemployment ; International Comparison ; Biographical interviews ; Experience

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Ségrégation résidentielle et quartiers refondés. Usages de la comparaison entre Paris et Milan

Residential segregation and refounded neighborhoods. The uses of comparison in Paris and Milan

Bruno Cousin

Résumé
À travers une approche articulant plusieurs comparaisons —interlocale, internationale et interconceptuelle— cet article identifie, au sein de la mosaïque sociospatiale des grandes métropoles européennes, une configuration d’autoségrégation des classes supérieures et un rapport à la mixité que la recherche avait ignorés jusqu’ici. Ce mode spécifique de production et d’habitat de la ville est analysé dans des quartiers à forte concentration de cadres, proches des nouveaux centres d’affaires, et est qualifié de refondation. En effet, il ne peut être ramené à la préservation d’un entre-soi bourgeois traditionnel, à de la gentrification progressive ou à de la sécession périurbaine ; ni à une combinaison quelconque des trois. Il s’agit au contraire d’un phénomène original, dont les traits constitutifs ainsi que les déclinaisons à Paris et à Milan ne peuvent être pleinement appréhendés que par une démarche compréhensive.

Mots clés : Ségrégation urbaine ; Entre-soi ; Refondation ; Classes supérieures ; Comparaison ; Métropoles européennes ; France ; Italie

Abstract
This article combines different forms of comparison : interlocal, international and interconceptual. Within the socio-spatial mosaics of major European cities, it identifies a self-segregation pattern among the upper(-middle) classes and a relation to residential integration that have been overlooked until now. This specific way of producing and inhabiting a city is observed in neighborhoods close to the new business centers, and with a high concentration of corporate executives. We call it refoundation. For it cannot be equated with the preservation of traditional bourgeois homogeneity, or with gradual gentrification, or suburban secession ;nor even as a combination of the three. On the contrary, it is an original phenomenon, whose distinctive features and their Paris and Milan versions, can only be fully described through an approach attentive to meaning-making.

Keywords : Urban segregation ; Self-segregation (entre-soi) ; Refoundation ; Upper classes ; Comparison ; Major European cities ; France ; Italy

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Les approches comparées face à la globalisation

Comparative approaches in the face of globalization

Jürgen Kocka

Résumé
Historien du travail, de la bourgeoise et du mouvement ouvrier, Jürgen Kocka compte au plan international parmi les spécialistes les plus connus de la méthode comparative, et non de la seule histoire sociale. Aujourd’hui invité permanent du collège d’études avancées Re :Work de Berlin, il a accordé une interview à la revue Sociologie du travail où il fait état des avancées récentes de la méthode comparative dans un contexte international marqué par la globalisation, l’influence des nouvelles technologies sur les modes de travail des spécialistes de sciences humaines et sociales et l’intensification des échanges entre les communautés scientifiques nationales. Son analyse du phénomène de la globalisation, qui distingue différentes phases ainsi que les enjeux pour nos disciplines, met en perspective les apports de la méthode comparative avec ceux de l’histoire globale ou de l’histoire croisée et rappelle la définition élémentaire de la comparaison : se focaliser sur les similitudes et les différences. Enfin, le comparatiste berlinois revient à la fois sur des objets de comparaison que l’époque contemporaine rend particulièrement sensibles et sur les défis méthodologiques qui se posent aujourd’hui à la comparaison. Il conclut par un point de vue sur les réformes universitaires dans le domaine des sciences humaines et sociales et sur leur pertinence pour le développement des approches comparées, qui réclament des investissements importants de la part des étudiants comme des enseignants-chercheurs.

Mots clés : Comparaison ; Méthode ; Globalisation ; Histoire globale ; Histoire croisée ; Capitalisme

Abstract
Jürgen Kocka is a historian of work, the bourgeoisie, and the labor movement, and is one of the world’s most eminent specialists in the comparative approach, and not only in the social history. Now a permanent fellow of the Re :Work International Research Center (IGK) in Berlin, he has granted an interview with Sociologie du travail in which he reviews recent advances in the comparative approach in an international context that has been marked by globalization, the influence of new technologies on the working methods of specialists in the social sciences and the humanities, and the intensification of exchanges among national academic communities. His analysis of the phenomenon of globalization identifies different phases as well as issues for our disciplines and puts the contributions of the comparative approach into perspective with those of global history and entangled history (histoire croisée) while recalling the basic definition of comparison : focusing on similarities and differences. Finally, the Berlin-based comparative historian returns both to objects of comparison that the contemporary era has rendered particularly sensitive and to the methodological challenges faced by the comparative approach today. He concludes with his perspective on university reforms in the humanities and the social sciences and their pertinence with regard to the development of comparative approaches, which demand significant investments from both students and academics.

Keywords : Comparison ; Method ; Globalization ; Global history ; Entangled history (histoire croisée) ; Capitalism

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Comptes rendus

La Formation des bandes, M. Mohammed. PUF, Paris (2011). 454 p.
Francois Dubet

Réinventer la famille. L’histoire des baby-boomers, Catherine Bonvalet, Céline Clément, Jim Ogg. PUF, coll. « Le lien social », Paris (2011). 420 p.
Julie Pagis

Économie des déchets : Une approche institutionnaliste, Sylvie Lupton. De Boeck, Bruxelles
(2011). 268 p.
Jérémie Cavé

La Biodiversité sous influence ? Les lobbies industriels face aux politiques internationales de l’environnement, A. Orsini. Éditions de l’Université de Bruxelles, Bruxelles (2010). 248 p.
Sezin Topçu

Travailler dans le nucléaire, enquête au cœur d’un site à risques, P. Fournier. Armand Colin, coll. « Sociétales », Paris (2012). 232 p.
Mathilde Bourrier

L’Apocalypse joyeuse. Une histoire du risque technologique, J.-B. Fressoz. Le Seuil, coll. « L’univers historique », Paris (2012). 313 p.
Ivanne Merle

Métropoles XXL en pays émergents, D. Lorrain (dir.). Presses de Sciences Po, coll.
« Gouvernances », Paris (2011). 404 p.
Pauline Prat

La Grande Transformation du capitalisme japonais (1980-2010), S. Lechevalier. Presses de
Sciences Po, Paris (2011). 420 p.
Tommaso Pardi

Le Salaire, un enjeu pour l’euro-syndicalisme. Histoire de la coordination des négociations collectives nationales, A. Dufresne. Presses universitaires de Nancy, Nancy (2011). 206 p.
Hervé Champin

Les Rémunérations obscènes, Ph. Steiner. La Découverte, coll. « Zones », Paris (2011). 150 p.
Pascal Petit

Écrits d’Amérique, M. Halbwachs. Éditions de l’EHESS, Paris (2012). (édition établie et présentée par Christian Topalov, 454 p.
Nicolas Herpin

La Sociologie américaine. Controverses et innovations, N. Herpin et N. Jonas. LaDécouverte, Paris (2011). 288 p.
Philippe Masson

Argumenter dans un champ de forces. Essai de balistique sociologique, Fr. Chateauraynaud. Éditions Petra, Paris (2011). 482 p.
Alban Bouvier

La Cause animale (1820-1980). Essai de sociologie historique, Ch. Traïni. PUF, Paris (2011). 234 p.
Fabien Carrié

Des chiffres, des maux et des lettres. Une sociologie de l’expertise judiciaire en économie, psychiatrie et traduction, J. Pélisse, C. Protais, K. Larchet et E. Charrier. Armand Colin, Paris (2012). 286 p.
Bilel Benbouzid

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